Hyperesthésie

Hyperesthésie.

J’ai longuement cherché un nom à cette tare. « Clapotement de mandibules » m’avait dit ma mère. Je l’avais pris pour argent comptant, croyant avec toute la sincérité et la candeur d’une enfant de 7 ans que c’était bien là le nom de ma hantise. La haine des bruits de bouche… Mâchonnements, déchiquetages, mastications, salive dégoulinante, déglutition bruyante, langue râpeuse et dents acérées… A les entendre, je tuerais. Père et mère. Et frère. Et amis. Et… Une rage folle. Une haine furieuse. Une putain de kalachnikov dans les mains et un foutu poignard entre les dents. Me bouffer une pomme dans la gueule est la pire des insultes, le mépris le plus affiché. Un crime de lèse-majesté. Se bâfrer un paquet de chips, s’enfiler une tablette de chocolat, s’affonner quelque verre que ce soit? Ordure! Pourriture! c’est donc ma mort que vous voulez?

« Qu’est-ce que ça vous évoque, cette histoire?« , m’avait un jour demandé ma psy freudienne, signant par là l’arrêt définitif de ses prestations. Rien… Rien de rien. On ne m’a pas privée de nourriture, ni goinfrée de bidoche. Mes parents bouffent normalement. Bruyamment, mais normalement. Et on ne m’a pas enfilé de queue dans la bouche à mon plus jeune âge : le stade oral et les traumatismes de l’enfance n’y sont pour rien, merci bien!

J’avais bien vaguement tenté de nommer la pathologie… mais sans succès, mes relents de grec ancien bien trop rouillés pour que je parvienne à construire une phobie sur la mastico-déglutition. Et puis, c’est pas tout. Se curer les ongles, c’est pareil! Le cliquetis des ongles entre eux, expulsant la crasse m’irrite tout autant.

Jusqu’à la révélation! Ce n’est pas tant l’origine buccale du bruit qui m’irrite que ma sensibilité extrême à celui-ci. Un peu comme la laine, ce supplice créé uniquement pour susciter chez moi des spasmes de répulsion.

Hyperesthésie… Ca ne sert à rien de le savoir, mais quel soulagement de la nommer.

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