Ce jour-là…

20 avril.

La scène est burlesque :

– « Docteur, vous ne savez pas de qui c’est la fille! »

– « Non, Madame, je ne sais pas de qui c’est la fille. Est-ce important? »

Pendant que ma mère s’agite, arpente la salle d’examen et vocifère en attirant sur elle, à grands cris, une attention inutile, le pneumologue tente vaille-que-vaille de se concentrer sur un centimètre carré de la peau de mon dos, pour la piquer d’une aiguille longue comme l’avant-bras . Ismaël, silencieux, contemple le désastre, mesurant toute la gravité de la situation, tandis qu’une infirmière – à moins que ce ne soit  une étudiante en médecine? – m’assomme de mille questions…

– « C’est quoi ce patch sur votre bras? » « Vous mangez de la viande? » « Vous n’êtes pas dégoûtée? » « Et du vin? » « Vous dites qu’en plus de la toux lors des changements de position, vous vous grattez la nuit ? » « Et vous avez perdu du poids? » « Importante la perte de poids? » « Et vous transpirez la nuit aussi? »

Je m’applique à répondre à ces questions de la matière la plus précise possible, ignorant encore, à cet instant, que ces questions me seront à nouveau posées à maintes reprises dans les journées à venir. Mon esprit fuit cette agitation et tente d’imaginer les suites de cette « tuberculose » que mon médecin généraliste me soupçonne. Va-t-on me mettre en quarantaine dans une chambre, le temps de m’assommer de médicaments et de faire fuir cette maladie que, quelques jours plus tôt, je croyais encore avoir été éradiquée de nos contrées? Au fond de moi, je suppose que la guérison ne doit pas être bien complexe et que je serai gâtée par mes proches pendant quelques jours. J’en souris même intérieurement : je n’ai jamais été l’objet d’une telle attention et l’idée que l’on prendra – un peu – soin de moi m’est tellement inhabituelle et nouvelle que j’en retire un vague sentiment de satisfaction.

J’essaie aussi de balbutier au pneumologue que mon médecin pense avoir décelé, outre l’épanchement pleural que l’on s’apprête à ponctionner, un épanchement péricardique. Le pneumologue, un homme dans la fleur de l’âge, a l’assurance de ces médecins spécialistes qui attribuent à leur spécialisation des qualités surhumaines. Au sommet de la pyramide des hommes, les médecins spécialistes. En-dessous, peu importe l’échelon, l’homme de la rue… C’est donc en toute logique qu’il balaie mes propos avec mépris : « Madame, votre médecin ne peut pas avoir vu cela à la radio du thorax. C’est impossible. Vous devez avoir mal compris ». Je suis vexée : c’est bien ce dont le docteur Christran m’a fait part, et je trouve idiot de la part du pneumologue de remettre en doute mes propos alors que je les termes « épanchement » et « péricardique »  étaient enfuis dans les tréfonds de ma mémoire depuis mes cours de biologie du lycée où, sans doute – mais je n’en suis pas certaine -, je devais les avoir appris. Il ne me serait même pas venu à l’esprit de les associer ensemble. Comment diable ce fichu spécialiste pouvait donc m’attribuer de telles extrapolations?

Et puis, la scène se cristallise. Je ne sais si l’agitation s’est poursuivie autour de moi, mais ma mémoire est restée figée, concentrée sur la douleur… Le pneumologue a introduit sa fichue seringue dans mon dos. Je la sens s’enfoncer entre mes côtes, profondément dans ma chair, comme mille lambeaux qui explosent. Le brûlure du métal froid pénètre jusqu’au plus profond de moi, pour recueillir, derrière la plèvre, le fameux liquide qu’elle contient… Il professe : « suivant la couleur du liquide, nous saurons immédiatement s’il s’agit d’une tuberculose »… Une partie du contenu de ma plèvre, du moins je le suppose puisque je tourne le dos au médecin, vient remplir le contenu de sa seringue de prélèvement. Au fond de moi, l’impression dégoûtante, déroutante, douloureuse que l’on me tord, comme un vieux linge imbibé. Me voilà plus consciente que jamais de ma misérable condition d’être humain, attentive à la moindre éructation du corps…

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